
Quand on est naïf, trop optimiste, trop candide, ingénu pire qu’une oie blanche, rêveur tendance chimères et mirages, irréaliste, ozappa est le terme japonais pour définir ce type de personnalité. Il ne suffit pas d’être le gogo de service, il ne s’agit pas de bêtise fade, ni d’insipide naïveté, il faut entrer en religion, être le niais reconnu par tout le monde, l’indécrottable idiot. Il faut accumuler des exploits « crétins et crétinisant » pour être remarqué, pesé et soupesé.

Ozappa fait référence à quelqu’un qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez, et qui a besoin de lunettes pour ne voir que ça. La nature lui a joué un mauvais tour en le privant de lumière? Il aide encore la nature, de temps en temps, il éteint l’ampoule faiblarde qui entretient la pénombre dans sa tête, parce qu’il lui faut confirmer que c’est lui, mister l’idiot.
Plus qu’étourdi, c’est quelqu’un qui offrirait un énorme steak à quelqu’un qui sort de chez le dentiste, pour le réconforter après un arrachage musclé de deux dents. Celui qui débarque avec des ramequins de glace chez son ami qui n’a pas de frigo pour les conserver est ozappa. Si son ami et lui, pour ne pas gaspiller, s’empiffrent de glace au point d’être malades, tous les deux sont ozappa.
Être ozappa, c’est réfléchir en gros, jamais en détail.

Le mboutoukou camerounais a lui aussi mille occasions d’être ozappa parce qu’il aime à agir sans réfléchir, ou bien après avoir réfléchi tordu. Ces lacunes dans le raisonnement accouchent très vite d’actions inconsidérées. À la différence de l’ozappa japonais qui n’attend pas un résultat particulier de ses actions et omissions, le mboutoukou est souvent guidé par des espoirs qui seront très vite déçus.
Le très cher mboutoukou semble n’exister que pour servir de faire-valoir à ceux qui sont prompts à ridiculiser, à rouler dans la farine, à abuser, à escroquer, à manipuler toute personne qui a le malheur de leur accorder plus de crédit qu’il n’en faut. « Erreur for mboutoukou, na damé for ndoss », la sagesse machiavélique des rues de Yaoundé a parlé. Le mboutoukou c’est le roi de sa propre turpitude, il n’existe que pour que les autres profitent de sa crédulité, de sa balourdise, et de sa réflexion lente et paresseuse. Le ndoss, l’individu toujours prêt à profiter de l’autre, bonimenteur, franc-tapeur, resquilleur à la petite semaine, manipulateur, etc, n’est rien tant qu’il n’a pas profité des erreurs et des errements de quelque mboutoukou. Les deux font la paire comme le corbeau et le renard. Le mboutoukou, c’est donc la proie préférée du ndoss, une proie qui n’hésite jamais à se jeter elle-même dans la gueule du loup.
Ozappa et mboutoukou sont des personnes qui font des choix stupides, qui multiplient les actes incohérents, qui croient aux mensonges les plus grossiers, qui répètent la même chose en attendant un résultat différent, qui espèrent encore alors que tout le monde a compris que rien ne jaillira du néant.

Il peut arriver qu’on fasse l’idiot, un jour. Ozappa et mboutoukou permettent d’illustrer et de conceptualiser cette idiotie qui vient à bout du bon sens.
Les idiots ne sont pas à plaindre. Ils gardent une place remarquée dans toutes les cultures du monde. Qu’est-ce donc un village, sans l’idiot du village? C’est comme un saucisson sans sel, ce type de village. L’idiot c’est l’âme attardée de la contrée, qui mérite aussi qu’on s’y attarde, parce qu’il permet aux autres de comprendre que le bon sens parfois saute des générations et choisit ceux qui vont le partager.
Aujourd’hui, les idiots de la ville n’ont rien à envier au talent des anciens idiots du village, qui étaient un élément à part entière du fonctionnement social des communautés d’appartenance. Que les proies mboutoukou soient mangées par les prédateurs est un jeu que la nature elle-même semble avoir mis en place.
