LE KINTSUGI : « L’hommage fait à ce qui s’est brisé »

Avant de lire ce qu’est le kintsugi, le regard se pose sur l’objet, un bol ou une tasse, qui illustre le concept. On a devant soi un artefact en céramique aux couleurs passées, dont les morceaux agencés comme un puzzle sont reliés par des chemins d’or, d’argent ou de platine. Les tessons de céramique se tendent de longues mains dorées qui les relient pour une dernière accolade, la plus enchanteresse de toutes. Les défauts liés à la brisure deviennent glamour et fondent la base d’une nouvelle esthétique du tesson sublimé.

Le passé fondateur et le présent triomphant sont réunis dans un objet déjà tourné vers un futur encore plus brillant. Le bol ou la tasse ne sont plus ce qu’ils étaient, mais ils sont encore plus eux-mêmes, un plus qui vient du liant urushi, une laque japonaise qui impressionne par sa complexité et sa diversité.



Le kintsugi , « jointure en or », ou kintsukuroi , «
réparation en or », est la méthode que les japonais ont de réparer des
porcelaines ou céramiques brisées, au moyen de laque Urushi saupoudrée de
poudre d’or ou d’autres adjuvants précieux.



La philosophie derrière cette prouesse artistique, c’est de
reconnaître la brisure et la réparation comme faisant partie de l’histoire de
l’objet, plutôt que de la dissimuler.  Se
maintenir dans le temps et survivre à des mains agressives ou maladroites ne se
fait pas sans cicatrices, les guerriers le savent, les centenaires le vivent,
le kintsugi met en valeur les cicatrices nées de la confrontation avec la
vicissitudes de l’existence.


Le kintsugi japonais naît à la suite d’une réparation
désastreuse effectuée en Chine. Lorsque, à la fin du XVe siècle, le shogun
Ashikaga Yoshimasa  renvoit en Chine un
bol de thé chinois endommagé pour le faire réparer, il est loin d’imaginer que
son acte sera àl’origine du kintsugi. Le bol étant revenu réparé avec de
vilaines agrafes métalliques, les artisans japonais auraient cherché un moyen
de réparation plus esthétique, prouvant par la même occasion au shogun que la
conclusion d’un drame n’est pas obligée d’être elle aussi dramatique.



Le kintsugi chez les bantous:

Un observateur du réseau serré des relations psycho-sociales entre individus en Afrique ne manquerait pas d’y voir émerger des mécanismes de réparation et de résilience similaires au kintsugi. La communauté c’est de l’or entre les individus. La famille répare les couples cassés par exemple, parce que le mariage n’unit pas seulement deux amoureux, mais surtout deux familles. Et, quand malgré les tentatives de conciliation le couple se sépare, il y a encore les enfants qui sont comme le liant de métal précieux qui relie désormais des tessons de couple.

Le kintsugi, c’est la parcelle d’or que t’apporte la vie, tu dois encore façonner cet or afin qu’il joue son rôle sublimatoire, qu’il rétablisse la vie et surtout la fonction de ce qui était voué au rebut. Quand ta vie a tourné au champ en friche, ou qu’elle est maculée par la boue des chemins, rien ne sert d’attendre le grand laboureur ou la grande lessive qui vient du ciel, il faut façonner sa survie, arborer fièrement ses cicatrices, vivre encore plus fort parce qu’on a frôlé la mort.

Le kinstugi, c’est la nouvelle génération qui a tourné les insécurités et traumatismes de la précédente en éléments de survie, celle qui n’est plus elle-même parce que quelque chose a été brisé, mais qui ne se plaint pas et n’est pas à plaindre, au contraire.

Béatrice MENDO

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