
Les légendes et mythes du monde entier sont peuplés d’animaux fabuleux. Ils sont les héros des récits fondateurs des civilisations. Souvent aussi monstrueux que puissants, ils peuvent symboliser des éléments de la nature, des traits de caractère ou des phénomènes. D’autres héros les affrontent pour confirmer leur bravoure. Ils sont encore très vivants dans le folklore, dans les légendes, dans les livres et dans les œuvres d’art, et continuent d’inspirer les imaginaires collectifs. Nous allons suivre les pas légendaires des dragons japonais, puis nous allons traverser le plus long fleuve du Cameroun, sur le dos du serpent mythique Ngan Medza.

LE DRAGON JAPONAIS:
On l’appelle ryū (龍) ou tatsu (竜), le dragon japonais est une créature serpentine (il est long, sinueux, recouvert d’écailles, peut avoir des pattes de tigre, des griffes d’aigle, etc) qui ne possède pas d’ailes, contrairement au dragon occidental et qui arbore trois griffes, à la différence du dragon chinois qui en a 4 ou 5.
Le dragon ne naît pas dragon, mais passe par plusieurs stades de développement qui prennent des milliers d’années. Il naît serpent avant de devenir une carpe. Quelques siècles plus tard, il acquiert sa fameuse barbichette avant de se voir pousser des pattes griffues et une queue. À la fin de cette longue métamorphose, il va développer des cornes pour discerner les sons et pour finir, une crête qui lui permettra de voler à l’âge adulte. Il a la particularité de posséder une perle sacrée, cachée dans sa gorge, qui lui confère ses prodigieux pouvoirs et apporte bonheur et sagesse à qui la détient. En effet, le dragon mythologique japonais règne sur les océans et combat pour défendre les dieux. Créature de l’eau, il possède des pouvoirs infinis sur l’eau, et est capable, notamment, de provoquer ou d’arrêter la pluie. Il a la capacité de se métamorphoser, de devenir invisible ou de prendre une apparence humaine, notamment celle d’une très belle femme. .
Il est respecté et honoré au Japon où il est un symbole de force vitale (le ki) et de pouvoir impérial.

Le livre le plus ancien du Japon, le Kojiki (古事記), litt. Chronique des faits anciens, aussi prononcé Furukoto fumi), paru en 712, contient plusieurs mythes qui forgent la réputation de cet animal légendaire. Les légendes contenues dans le Kojiki associées à celles du Nihon shoki (日本書紀,), litt. Annales ou Chroniques du Japon), aussi appelé Nihongi (日本紀), achevé en 720 confirment la place centrale du dragon dans l’univers mythologique japonais.
Les plus célèbres dragons japonais sont, le Yamata-no-Orochi (ヤマタノオロチ), également écrit (八岐大蛇), qu’on appelle aussi simplement Orochi (大蛇 ). C’est un serpent draconiforme doté de huit têtes et huit queues. Le second est Watatsumi (海神,) ou (綿津見), qu’on prononce aussi Wadatsumile, c’est le roi dragon et dieu de la mer. C’est un kami légendaire (神, dieu ; divinité ; esprit). C’est la divinité tutélaire de l’eau: Ōwatatsumi no kami (大綿津見神), « grande divinité de la mer »). Watatsumi c’est aussi l’autre nom pour la divinité marine Ryūjin (龍神, dieu dragon), pourvu d’une large gueule et capable de prendre forme humaine. Il vit à Ryūgū-jō d’où il contrôle les marées grâce à des joyaux magiques. Les tortues marines, les poissons et les méduses sont souvent décrites comme étant ses serviteurs
Les dragons sont très populaires au Japon, par la grande place qu’ils occupent dans une spiritualité gouvernée par le shintoïsme. Il est le gardien et le protecteur du bouddhisme. On le retrouve dans les temples, les sanctuaires, les paravents, les kimonos, les tatouages (les plus célèbres étant ceux des yakusas, aussi fascinants que le dragon lui-même). La présence d’un dragon sculpté ou peint aide à purifier ou à protéger les temples des incendies.

Ainsi, dans la culture japonaise, les dragons, créatures emblématiques, continuent de porter chance et de symboliser la force et l’illumination, parce que le dragon est généralement bienveillant. C’est un bon présage, qui apporte bonheur, richesse et succès, tout en symbolisant la sagesse, la persévérance et l’immortalité dans l’esprit des Japonais.

NGAN MEDZA, LE SERPENT MYTHIQUE.
On retrouve dans l’histoire des Fang-Bëti-Bulu: Ngan Medza, un serpent mythique qui a joué un rôle primordial dans les fondements mythologiques de ces peuples, les préservant pour la postérité, non sans leur avoir appris à se mettre ensemble pour venir à bout de l’adversité.
L’histoire commence au Nord de ce qui n’est pas encore le Cameroun, entre le XVème siècle et la fin du XVIIIème siècle. Des populations bantoues venues de l’Afrique du Nord et du Sud du Soudan y vivent tranquillement leur vie d’immigrants sedentarisés, animistes ou païens comme cela leur chante. Elles commencent à subir le harcèlement des populations islamisées, notamment les peulhs (foulbés, ou fulanis, ou encore fula), bien décidés à les islamiser. Il faut savoir que les peulhs sont déjà en grande partie musulmans. Ils joueront un rôle prépondérant dans les jihads qui ont mené à la création d’États islamiques, comme le Califat de Sokoto, dont le fondateur est un réformateur et chef militaire de rugueuse mémoire, Usman Dan Fodio( 1754 – 1817). Les Fang-Bëti, épris de liberté abandonnent les terres du Nord (aujourd’hui l’Adamaoua) et se dirigent vers le sud. Il faut dire que les féroces cavaliers d’Usman Dan Fodio sont des adversaires redoutables et impitoyables, et que leur dextérité à cheval rend tout corps à corps impossible. Les Fang-Bëti prenent le chemin de l’exil, fuyant l’islam et les musulmans. C’est au cœur de l’Afrique Centrale que vont se dérouler ces événements qui se sont imprimés dans la mémoire collective perpertuée par la tradition de l’oralité.
Bëti Be Nanga, l’un des bantous ayant entamé la marche de la liberté, avait eu de nombreux enfants : Kolo Beti, Eton Beti, Mvele Beti, Fang Beti, Bika Beti, Bulu (la seule fille) et Ntumu, le dernier fils, qui tous le suivront, pour échapper à Dan Fodio et trouver une contrée plus paisible où s’établir.
Dans le périple qui allait les mener vers le centre du pays, ils rencontreront un obstacle naturel, un grand fleuve appelé Yom (aujourd’hui la Sanaga).

Le fleuve semblait diviser le pays en deux parties et il n’y avait pas de pont pour la traversée, il était d’ailleurs trop large pour qu’une main humaine, avec les techniques de l’époque, eût pu lancer une passerelle entre les deux rives. Dépités, Bëti Be Nanga et les siens resteront sur les rives, dans la crainte d’être rattrapés par les cavaliers de Dan Fodio. Ayant essuyé une énième attaque des musulmans, ils comprendront que derrière eux, la mort était certaine, mais que devant, le fleuve qui s’étalait devant eux, pouvait être une issue de secours, si jamais les ancêtres venaient à leur secours en leur permettant de le traverser. De toutes les façons, ils ne pouvaient plus reculer. Bëti Be Nanga et les siens s’en remettront alors aux fétiches qu’ils avaient rapportés du Soudan. Ils décideront de raviver le lien avec une entité protectrice dont ils se transmettaient la mémoire depuis des temps immémoriaux. Une nuit, ils se rassembleront et invoqueront donc un serpent appelé Ngan Medza. Le serpent apparaîtra, faisant le lien entre les mânes des ancêtres et les vivants, mais aussi reliant les deux rives du fleuve. En effet, Ils le feront reposer dans le fleuve comme un pont pour permettre aux leurs de traverser. Cette même nuit, ceux qui savaient que Ngan Medza étaient un serpent recevront l’ordre de prendre soin de lui, sous peine d’encourir une catastrophe, et de faire en sorte que les autres en prennent soin sans connaître la nature du pont. Il était impératif, voire vital pour eux, que rien ne vienne abîmer « le fétiche de la traversée ».
Au matin, après que Ngan Medza a été bien positionné, les gens ne verront qu’un pont posé sur la rivière, un pont miraculeux qui était la réponse du Ciel à des prières efficaces. Zamba, le dieu protecteur et miséricordieux, depuis le Ciel, leur avait accordé « le fétiche de la traversée ». Ils étaient heureux et réconfortés de pouvoir échapper définitivement aux musulmans, qui noieraient leurs terribles chevaux en essayant de les poursuivre.
Alors qu’ils s’apprêtaient à profiter de leur pont providentiel, les anciens les retiendront pour leur donner les dernières instructions : « Pendant que nous traverserons ce pont, que personne n’y pose d’objet pointu ni ne jette quoi que ce soit qui puisse l’endommager. » L’instruction était de veiller à ce que « le fétiche de la traversée » ne soit pas endommagé. Les gens ne savaient rien de la nature organique du pont miraculeux, ils ne savaient pas qu’il était fait de chair et d’os et disposait de terminaisons nerveuses.
La traversée a commencé. Les gens ont traversé Yom (le fleuve Sanaga) pendant des années, dans le respect absolu des instructions établies par les ancêtres. Des personnes mandatées prenaient soin de rappeler aux nouveaux qui passaient les instructions des ancêtres sur les égards dûs au pont.
Il arrivera, un sombre jour, qu’un membre de la désormais grande famille de Bëti Be Nanga décide de traverser de nuit, alors que les traversées se faisaient de jour.
Le chef du groupe, qui était à l’arrière, tenait une torche de bambou, qui rougeoyait dans la nuit noire, parce qu’elle était allumée. Alors qu’il traversait, le bambou qui avait presque entièrement brûlé lui avait brûlé la main. Sursautant sous la douleur, il jettera sa torche au sol en même temps que la lance acérée qu’il tenait de l’autre main. Torche encore flambant et lance acérée tomberont sur le pont ; se ficheront dans le dos de Ngan Medza. La lance acérée le blessera, le feu de la torche le brûlera. Ngan Medza ressentira une vive douleur, mêlée de colère. Endolori et malgré lui, il disparaîtra à jamais dans la rivière. Emportant avec lui le secret de sa mise en service, en même temps que ceux qui étaient sur son dos, qui se noyeront.
Ceux qui n’avaient pas encore commencé la traversée se trouveront contraints de rester de l’autre côté. Ce n’est qu’en le voyant disparaître dans les eaux, ce jour-là, tout en ondulations reptiliennes, que les gens comprendront qu’ils avaient marché sur un serpent pendant tout ce temps.

Les Fang Bëti, Bulu et Ntumu avaient réussi à traverser le fleuve. À la fin de leur traversée, ils prendront différentes destinations à travers le Sud du Cameroun, vers des pays voisins comme la Guinée équatoriale, le Gabon et le Congo. La famille de Ntumu se trouve aujourd’hui en Guinée équatoriale et dans certaines villes du Cameroun, notamment à Ambam. Celle de Fang se trouve au Congo, au Gabon et dans une partie du sud du Cameroun, notamment dans des villes comme Oveng, Djoum et Kye-ossi. Bulu, la seule fille, se rendit également dans le sud du Cameroun et sa famille se trouve dans des villes comme Sangmelima et Ebolowa. Bëti Kolo, communément appelé Ewondo, et son frère Eton, quant à eux, resteront dans le centre du pays. Leurs familles se trouvent aujourd’hui dans des villes comme Yaoundé, Saa, Akonolinga, Obala et Monatélé. Ceux qui se verront obligés de rester le long des rives du fleuve étaient les Mvele.
Leurs ancêtres sont ceux que l’on appelle aujourd’hui les Bassaa du Centre, ainsi que les Batouké et les Mvute, que l’on trouve spécifiquement à Éséka. Certains Mvute et Batouke vivent également dans les terres proches de l’Adamaoua.
Ces diverses migrations, et les interférences culturelles et linguistiques qu’elles ont engendrées font que les Fang-Bëti-Bulu ont des langues maternelles différentes, mais mutuellement intelligibles.
Cet histoire révèle le lien étroit que les Fang-Bëti-Bulu entretiennent avec la faune et la flore, en corrélation avec les esprits des ancêtres qui veillent, protègent et guident.

Des festivals sont organisés pour commémorer la prouesse de Ngan Medza. Ils sont aussi l’occasion de célébrer une histoire commune que partagent ces peuples de la forêt.