
Un célibataire, c’est peut-être l’extraterrestre le plus terrestre de nos jours. C’est tout simplement une personne qui, ayant atteint l’âge requis, n’est pas mariée, n’est pas en couple, n’est pas impliquée dans une relation sentimentale (ou même sexuelle), avant qu’on ne vienne compliquer les choses en essayant de définir les causes et les conséquences de cette anomalie. Au Japon comme au Cameroun, nous allons découvrir comment sont perçus ceux-là qui n’ont pas de conjoints, qui boudent le mariage ou bien lui courent après sans succès, celui qui traîne des pieds, celle qui ne veut pas rentrer dans le rang, tous célibataires, fiers ou pas.

JAPON:
Selon les projections démographiques, effectuées en 2019, par l’Institut National de Recherche sur la Population et la Sécurité Sociale, en 2040, un peu moins de la moitié de la population japonaise sera célibataire (total des personnes jamais mariées, divorcées et veuves).
Il faut dire que le Japon d’avant s’accommodait déjà du célibat, qui était une culture bien tolérée et assez bien répandue.
L’institution qu’est le mariage a commencé à se généraliser après la promulgation en 1889 du Code civil de Meïji, invitant les gens à se marier pour la vie et à éviter le divorce comme la peste. Le Code civil de Meiji institue le régime d’autorité parentale (le koshuken) et la criminalisation de l’adultère, uniquement pour les femmes.
La situation actuelle, avec son « boom des solistes » ressemble beaucoup à celle de l’époque Edo (1603-1868) par exemple, où on recensait un grand nombre de célibataires dans les classes populaires. Edo, (Tokyo aujourd’hui), comptait alors deux fois plus d’hommes que de femmes. C’est la situation qui prévaut de nos jours au Japon, un surplus d’hommes et de nombreux divorces. Ce surplus alimente un concept:
« l’excès d’hommes » par rapport aux femmes, qui n’est pas sans conséquences désagréables. « L’excès d’hommes » signifie qu’il n’y a tout simplement pas de partenaires pour beaucoup d’hommes qui voudraient se marier. Un pays comme la Chine est en plein dedans.
Est-ce parce qu’il y a trop d’hommes que les femmes ont soudain l’embarras du choix? Un mariage sur trois se termine par un divorce au Japon, il y a beaucoup de célibataires parmi les « divorceurs en série ».
Le célibat est un choix qui est tellement rentré dans la normalité des japonais qu’on parle, les concernant, du « syndrome du célibat ». Ce concept décrit la perte d’intérêt pour les relations amoureuses et le mariage observée sous le soleil nippon. La vie en solo a de nombreux adeptes, qui sont accompagnés dans ce choix par des offres commerciales et toute une industrie des services adaptées aux « solistes ».
Pourtant, jusqu’au début des années 1990, les japonais se mariaient sans se faire prier, et essayaient de ne pas divorcer. Le mariage était perçu comme une nécessité quand on avait l’intention de fonder une famille. Une fois la famille fondée, il était mal vu de se dérober, on restait bravement dans l’union qu’on s’était choisie, aussi réconforté qu’un pendu à qui on a donné le choix de la corde.
On note une baisse drastique du nombre de mariages au Japon. On se marie deux fois moins que dans les années 70/80 par exemple.
Comment se retrouve-t-on célibataire au Japon ?
Commençons par les femmes. Elles sont de moins en moins intéressées par la profession préférée de leurs grand-mères (voire leurs mères): femme au foyer. Elles vont à la conquête de professions qui impliquent de longues études, et d’emplois gratifiants (postes de direction, etc) qui les occupent pleinement à l’âge ou mères et grands-mères s’occupaient pleinement de leurs familles. Dans leur trentaine rayonnante, il n’est pas rare qu’elles soient à la tête de grosses boîtes. Elles peuvent faire ce qui leur plaît, elles ont les moyens de leur politique, elles goûtent aux joies de l’autonomie, elles peuvent voyager dans le monde, choisir le monsieur avec qui elles vont batifoler, quand et comment. Elles ne voient pas vraiment à quoi leur servirait un mari, sinon à les obliger à couper la poire en deux, parfois en quatre quand le compromis est douloureux.

Le parcours des hommes n’est pas complètement différent de celui des femmes. Il y a la course vers une position sociale enviable qui les absorbe pendant leurs belles années, ponctuée de relations éphémères donc avec un faible taux d’implication. Quand ils réalisent qu’il est temps de se marier, très peu savent comment communiquer avec le sexe opposé. Il leur faut des séminaires et des séances de coaching ou les services des agences matrimoniales, comme la tokyoïte « Marry me ». Ils se livrent aussi au « Konkatsu », un parcours du combattant dont la promesse est de trouver chaussure à son pied, un conjoint. Le « Konkatsu », la chasse au partenaire du mariage, place la relation avant l’amour. Le mariage est censé être un partenariat gagnant, ce qui commande d’être méticuleux dans le choix du partenaire. Évidemment, l’argent est au cœur de ce partenariat, les unions de « deux gros salaires » sont les plus intéressantes, les plus appréciées.
Ainsi, le célibataire japonais c’est celui qui a trop à faire pour penser au mariage, celui qui n’a pas encore trouvé le partenaire avec qui il effectuera l’assortiment idéal (idées-ambitions-finances), celui qui a décidé qu’il se mariera à un certain âge. Ce n’est en aucun cas une personne qui vit à moitié, qui attend le mariage qui viendra le rendre complet, lui donner dignité et reconnaissance. Même si le mariage demeure une affaire de statut, celui des célibataires a de quoi faire rêver aussi.

CAMEROUN: CÉLIBATAIRES ET SUSPECTS.
On se moque d’eux, en chansons, dans les sketches.On les déclare inutiles, incongrus. On les imagine comme des corps froids dans des lits sinistres. On les voue aux gémonies le dimanche dans les églises. On les critique sur les plateaux de télévision. On leur prédit mille malheurs en plus de la plus horrible des solitudes. On les invite à utiliser leur temps libre le jour, et surtout la nuit, à réfléchir sur ce qui pourrait développer le pays. Au Cameroun, le célibataire est définitivement suspect. Une bête curieuse qui se prive des joies et réconforts du mariage. Et, comme c’est difficile de croire qu’on se fasse soi-même autant de mal, on ne peut pas volontairement être célibataire.
On est célibataire parce qu’un autre être humain ne nous a pas trouvé suffisamment séduisant, rassurant, sincère, disponible, conciliant, etc, pour tenter l’aventure du couple.
Le célibat est donc une affaire de lacunes, d’incapacité et de manquement, une affaire de bras cassés. Tandis que le mariage est pour les personnes valeureuses, les gladiateurs de la vie, qui n’ont pas peur d’étouffer sous la tonne d’honneurs et de vertus qui pleuvent sur eux une fois qu’ils ont enfilé une bague devant monsieur le maire.

Il ne fait pas bon d’être célibataire au Cameroun, les hommes célibataires sont accusés de fuir devant ces responsabilités qui font les vrais hommes. Un homme sans femme, sans copine, sans enfants, vit comme un adolescent, il faut donc le considérer comme un adolescent. Si c’est un homme à femmes, qui les apprécie et consomme, mais pas au point de les conduire devant monsieur le maire, alors c’est tout simplement un inconscient, lubrique et égoïste. Si c’est une femme, c’est qu’elle a fait le choix de la frivolité. Elle veut tous les hommes, elle n’a pas envie de se contenter d’un seul. La pire des célibataires est la mère célibataire, qui expose son enfant à la pauvreté, et à une éducation fragilisée par l’absence du père. Les veufs et veuves ont la bonne excuse, la mort du conjoint, qui en les obligeant à boxer désormais seuls sur le ring du mariage, en fait des célibataires honorables.
Les pasteurs n’hésitent pas à combattre les « démons du célibat « , à coup d’exorcismes débridés. Le mariage est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à une femme. « On ne perd pas le temps à une femme qu’on aime: on l’épouse « , dixit le célèbre chanteur Petit Pays « Rabba Rabbi », autoproclamé l’avocat défenseur des femmes.
Toutefois, il y a un cas où le célibat de la femme semble toléré, comme chez les « célibattantes » et fières de l’être, un terme qui désigne des guerrières dans le célibat, des femmes qui assument leur indépendance. Une célibataire qui s’en sort semble alors en meilleure posture qu’une femme mariée en pleine déconfiture dans son mariage. Mais ça, on le croit à demi-mot. Il faut des preuves flagrantes pour qu’on accepte qu’il y a plus de joie dans le célibat que dans le mariage.
Les célibataires camerounais, de plus en plus nombreux, et de leur voix de plus en plus audible, rétorquent que « le mariage n’est pas une fin en soi », que les autres ont vite transformé en « le mariage n’est pas une faim à Soa », Soa étant une ville universitaire où les étudiants goûtent encore à l’exubérance et à l’insouciance des relations estudiantines.
Les célibataires camerounais ont beau objecter qu’ils reculent pour mieux sauter le pas de la mairie, qu’il vaut mieux être seule que d’être une épouse battue, qu’il faut se marier quand son argent suffit, que chacun se marie ou pas avec son corps, pas celui de quelqu’un d’autre, que le célibat a sauvé beaucoup de gens en leur evitant des relations abusives, que le célibat coûte moins cher… les autres, le cou étranglé par la cravate du mariage, continuent de les trouver suspect.
Dans les réseaux sociaux, les joutes verbales entre célibataires et mariés peuvent être très violentes. Pour les mariés (surtout les jeunes mariés), le célibat est la malédiction à laquelle ils ont échappé.
Pour les célibataires, le mariage est un leurre, un miroir aux alouettes, une institution créée pour diminuer la joie des gens. Le mariage oblige de dire bonjour aux compromis, aux concessions et aux sacrifices. Les célibataires affirment qu’ils ont la chance de profiter de tous les plaisirs qu’offre la vie, avec à la clé un confort sur mesure, le tout sans avoir de comptes à rendre.
Être célibataire c’est vivre à son rythme. Et, ceux qui ont sacrifié leur indépendance sur l’autel du mariage, affichent un empressement suspect à conseiller aux autres de se laisser incarcérer comme eux.
Bref, le célibat au Cameroun est une affaire de courage. Cependant, les courageux sont de plus en plus nombreux. Les jeunes femmes veulent finir leurs études avant de convoler en justes noces. Les hommes disent qu’ils se marient pour faire plaisir aux femmes. Ils ne sont pas pressés de se marier parce qu’ils savent que, quel que soit le moment, la taille de leur porte monnaie ou leur âge même avancé, il y aura toujours une femme dans les parages, prête à rompre la malédiction du mariage avec le volontaire à sa portée.

Le seul moment où certaines peuvent être soulagées et heureuses d’être célibataire, c’est quand il leur faut établir un « certificat de célibat ». C’est un document officiel qui atteste qu’une personne n’est pas mariée.
Il est généralement demandé pour se marier à l’étranger, et peut être obtenu auprès de la mairie du lieu de naissance ou de la mairie du domicile. Alors là, on est contente d’être célibataire parce que c’est ça qui nous permettra de nous marier.