« NANKURUNAISA » ET L’ART DE CUIRE DES PIERRES

La vie est une école de patience. Comme dans toutes les écoles, il y a les forts en thème et les recalés multirécidivistes. Le temps n’a pas sur nous les mêmes bienfaits ni les mêmes ravages. Le temps appartient à Dieu disent certains, le temps c’est de l’argent disent les autres, à nous tous, il nous file entre les doigts. Il en sera toujours ainsi, alors pour retrouver la sérénité devant l’inéluctable, on dit: « nan kuru naï sa »: inutile de t’inquiéter, il adviendra ce qu’il adviendra. On invoque aussi « munyal », la patience, pour confirmer à une femme que le temps est son allié.
Au Japon comme au Cameroun, nous allons découvrir par quels aphorismes et autres mantras philosophiques, les individus essaient d’amadouer sa majesté le temps, qui règne en nous soumettant à l’épreuve.

JAPON: AVEC LE TEMPS TOUT S’ARRANGE

Nankurunaisa: « なんくるない さ », c’est plus qu’un mot, c’est un aphorisme (petite phrase qui résume une vérité fondamentale) qui nous vient de la sagesse populaire d’Okinawa, dans un patois de l’archipel de Ryūkyū mêlé au japonais moderne.
C’est une philosophie de vie qui consiste à ne pas se soucier du lendemain, mais de laisser le lendemain se soucier de lui-même. Il faut le faire parce que « avec le temps, tout s’arrange » ou « tout ira bien ». La patience, la résilience et l’optimisme face aux difficultés sont la clé d’une existence sereine, apaisée.
Il ne sert à rien de s’inquiéter du futur, de se faire de la bile pour ce qui n’est pas encore arrivé. Il faut vivre dans le présent et se convaincre que les problèmes finiront par se résoudre avec le temps. C’est le « carpe diem » nippon, il faut cueillir le jour, profiter de l’instant. Nankurunaisa nous offre un mantra de positivité et de confiance en l’avenir, nous encourage à aborder la vie avec légèreté et espoir.

Nos problèmes ne vont pas disparaître par enchantement parce que nous avons décidé de ne plus souffrir de leur poids, il ne s’agit donc pas d’un déni, ni un encouragement à l’inaction, mais plutôt d’une posture sereine face aux événements, où l’on reconnaît que certaines choses nécessitent du temps pour se résoudre. Face aux problèmes, il ne sert à rien de se laisser submerger par l’anxiété (qui n’a jamais noyé aucun problème), il faut agir, il faut surtout persévérer dans l’espoir que la solution viendra. Comme l’a écrit l’écrivaine haïkiste camerounaise Béatrice Ammera Mendo: « Toute peine qui existe n’a que trop vécu, il faut travailler tous les jours à l’ensevelir ».
Nankurunaisa est finalement une invitation à lâcher prise, à faire confiance au temps et à cultiver un état d’esprit positif, même dans les moments difficiles. Le mot Nankurunaisa vient à l’origine de la langue Au cœur de la culture japonaise, ces mots constituent un puissant mantra, insufflant de la force même dans les situations les plus difficiles. Faites ce qu’il y a à faire, faites-le bien, et tout ira bien.
Retenez-le: « avec le temps on arrive à tout ».

CAMEROUN: LA PATIENCE PEUT CUIRE UNE PIERRE.

Faire du temps un allié, ramer dans son courant, cela semble un délice de vieux sage, c’est heureusement une philosophie que partagent beaucoup qui savent que le combat est ailleurs que dans un affrontement avec le temps, un combat perdu à l’avance.
L’écrivaine camerounaise Djaïli Amadou Amal, nous donne un bel exemple de la domestication du temps, dans son troisième roman « Munyal, les larmes de la patience » (2017), qui paraîtra en 2020, retravaillé, sous le titre « Les Impatientes », ce qui lui vaudra de remporter brillamment le prix Goncourt des lycéens (2020).
Munyal, c’est le Nankurunaisa de la femme peuhle, qui face aux vicissitudes de l’existence, doit pouvoir observer la plus extrême des patiences, celle-là qui peut apprivoiser le temps, au point qu’une pierre posée sur le feu de cette patience, cuise. « Les Impatientes », c’est l’histoire de trois destins de femmes entrelacés. Des histoires douloureuses que l’oppression du patriarcat et l’intégrisme religieux (mariages forcés et polygamie) savent engendrer et couver. Se taire, supporter les coups, les brimades, les vexations. Se taire, faire du temps son allié, même s’il n’aplanit pas les rigueurs de la vie, il contribuera à en refroidir les peines. Tel est encore le lot commun de beaucoup de femmes, particulièrement dans le grand Nord du Cameroun mais aussi dans tous les endroits où la femme est considérée comme un individu sous tutelle masculine, obligé de se soumettre, de se taire et d’obéir.
Quand les temps de la femme ainsi oppressée sont durs, la patience, munyal, est son leitmotiv. La patience écrit ses plus belles lettres dans le livre du temps. On te maltraite ici? Tu t’échappes vers une autre dimension du temps où tu seras inaccessible, cette dimension où l’instant n’est rien, juste une goutte dans le fleuve du temps. Munyal, c’est la patience qui rend les gémissements incongrus. Pourquoi pleurer aujourd’hui ? Demain ? Maintenant ? Puisque le temps finira par absorber tous les pleurs, toutes les peines. Et même la douleur, cette grosse pierre dans nos cœurs, cuira. Cette pierre cuira sous le feu nourri de la patience.
Vous l’avez compris, la patience n’est pas froide comme la vengeance, elle est plutôt incandescente comme l’espoir qui persiste et signe.

Les camerounais aiment à dire que la résilience elle-même les respecte à présent, tellement ils sont capables de déployer des trésors d’abnégation. Le temps les regarde et applaudit, de courageux camerounais comptent sur lui, tout en le défiant.
Ils ont des formules aussi étonnantes qu’édifiantes: « qui fait Dieu fait que… » , le dire c’est souhaiter avoir accès à un puissant intercesseur, qui poussera Dieu Himself à faire que le Ciel ne soit pas leur limite, à faire que le temps lui-même se courbe devant leur destin de camerounais. Généralement, c’est le temps qui finit par faire que Dieu fasse que. Le temps est le vaisseau de la volonté divine.
Même sous les affres de la misère la plus crasse, une étincelle d’espoir surgit, née pour vivre longtemps, née pour être coriace, imperturbable.

La conviction est que le temps va arranger les choses, comme dans le Nankurunaisa, mais aussi que le temps va s’arranger lui-même, il fera moins son « monsieur l’inéluctable « , il rangera ses fourches caudines. Peut-être même se mettra-t-il au service des camerounais.
Laisser les choses se faire, oui, bien sûr en faisant sa part, bien sûr en essayant de faire tourner les choses à son avantage.
Le lendemain doit se soucier de lui-même ? Évidemment. Mais, les lendemains doivent aussi respecter le présent des camerounais, qui se battent tous pour que demain existe.
Personne n’a découvert la résilience dans les discours du président de la République, où elle semble habiter maintenant. Beaucoup ont découvert un nouveau mot, sans qu’il ne suffise même à décrire l’âpreté de leurs combats quotidiens.
Le temps a plusieurs vitesses au Cameroun. Il rampe, va à cloche-pied, recule, se permet des acrobaties, accélère, bifurque, saute et cale en l’air (reste suspendu dans les airs, inaccessible, insondable et silencieux comme le temps du président qui semble élastique, qui s’étire, s’étire).

Un coup, le temps joue pour les camerounais, un coup, le temps est contre eux. Allié, ennemi. Nankurunaisa ou munyal, les deux assurément. Confiants et patients. Extrêmement patients.
Une seule consolation, si la pierre de l’espoir tapi dans les ventres camerounais finit par cuire, alors c’est que Dieu lui-même l’aura mise dans sa marmite.

Un conseil à tous, japonais et camerounais, vivez donc aujourd’hui comme si demain vous sourira, tâchez de sourire aujourd’hui pour demain et pour tous les autres jours, qu’importe comme ils seront.

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