YASUKE, LE SAMOURAÏ NOIR

Il arrive au Japon vers 1579, dans les valises d’un jésuite italien, Alessandro Valignano, dont il est le serviteur. Le jeune homme de la tribu Makua du Mozambique a été enlevé aux siens par des négriers portugais. Son destin d’esclave ordinaire l’a jusque-là mené dans les Indes, au gré des pérégrinations de ses maîtres. Il se retrouve à Kyoto, où la rencontre avec un homme puissant, Oda Nobunaga, achèvera de tracer les lignes de fond de son extraordinaire destin.
Avant lui, des centaines d’individus à la peau noire ont déjà eu l’occasion de pénétrer dans les terres du Japon. Aucun n’a reçu les faveurs d’un personnage hors du commun de ses contemporains, Oda Nobunaga, un chef de guerre aussi excentrique que vindicatif, aussi puissant qu’ambitieux.
Le 8 mars 1581, Yasuke et Alessandro Valignano quittent donc l’île de Kyushu pour Kyoto, où règne Oda Nobunaga, le puissant seigneur de guerre, qui officie en sa qualité de daimyo (gouverneur de province). C’est une personnalité crainte et controversée, qui ne vise pas moins que le trône d’un Japon unifié sous sa houlette d’airain.

La rencontre est scellée par un bain. En effet, lorsqu’il rencontre le jeune Makua, Oda Nobunaga a devant lui un géant à la peau d’ébène. Le jeune homme mesure plus d’1.90 m, plus de 30 cm au-dessus des japonais les plus grands. Croyant à une entourloupe, il impose un bain à celui qu’il baptisera plus tard Yasuke, pour vérifier si le noir est effectivement sa couleur naturelle. Après le bain, Yasuke est toujours noir et dans ses yeux brillent cette intelligence remarquable qui lui permettra de se faire une place de choix auprès de son nouveau protecteur. Alessandro Valignano, qui doit quitter le Japon après sa mission d’inspection, offre son serviteur au daimyo. Yasuke apprend assez vite le japonais et le maniement des armes, tant et si bien qu’il combattra vaillamment aux côtés de son maître, qui fera de lui un samouraï. Comme tous les samouraïs, il sera autorisé à porter des armes et surtout à se battre pour son daimyo.
Oda Nobunaga aime à ramer à contre-courant de l’establishment, on ne compte plus ses extravagances et ses provocations. On imagine comment ça lui plaît d’accorder ses faveurs à un individu que les autres auraient vite fait de juger indigne de tant d’égards. C’est un homme curieux, ouvert à la nouveauté, à l’innovation et aux étrangers. Il est enclin à tirer parti de tout ce qui le sort de son ordinaire. Il n’est pas étonnant que celui qui n’hésitait pas à fréquenter des personnes aux antipodes de sa noble extraction, ait accordé sa confiance à Yasuke, noir venu d’une contrée lointaine, qui se battra avec une loyauté sans faille aux côtés d’un maître reconnaissant et protecteur

Yasuke, 弥助/弥介/彌介, qui deviendra plus tard Kuro-san ou Kuro-suke くろ助, est désormais suffisamment proche du daimyo pour être l’un de ses gardes du corps. C’est alors qu’il est nommé samouraï. Il obtient, comme tout samouraï, le droit de porter des armes. Il reçoit deux sabres, c’est un privilège accordé aux guerriers que celui de porter deux armes. Il se voit attribuer une maison, et une maîtresse de maison (une fille adoptive de Oda Nobunaga lui est offerte comme épouse). Une plus grande marque de confiance vient confirmer son ascension sociale: Oda Nobunaga lui confie sa propre lance personnelle. Le nouveau samouraï fera en sorte de toujours mériter la confiance ainsi faite à sa personne.
Convaincu de la nature authentique de Yasuke, Oda Nobunaga s’est pris d’affection pour ce dernier et le traite comme un membre de sa famille. Il fait donc partie d’un groupe très restreint de personnes autorisées à dîner avec le seigneur de guerre. Un changement de condition dont Yasuke est fier. Il s’applique à rendre des services guerriers à son ami et protecteur. En 1582, il s’illustre lors de la bataille de Tenmokuzan livrée contre Takeda Katsuyori, un autre seigneur de guerre, grand rival d’Oda Nobunaga. La victoire est belle, Yasuke s’en délecte. Il a un maître mais il combat comme un homme libre. Il est samouraï, et non esclave de samouraï. Et non esclave.

Le destin flamboyant de Yasuke se termine par une fin plus que pâle. Après avoir unifié la plus grande partie du Japon, Nobunaga Oda est trahi par Akechi Mitsuhide, un de ses généraux les plus fidèles. Défait lors de la bataille de Honno-ji, Oda Nobunaga choisit de faire un seppuku (hara-kiri), un suicide rituel par éventration, connu pour être extrêmement douloureux.
Yasuke, fidèle jusqu’au bout, restera à ses côtés durant cette ultime épreuve. Après la mort de Nobunaga, Yasuke est capturé par les hommes de Mitsuhide qui, contre toute attente, lui laissent la vie sauve.
Mitsuhide, qui ne sait peut-être pas quoi faire de ce samouraï trop spécial, décide de le renvoyer à la mission jésuite de Kyoto.
Yasuke qui a perdu son maître est donc renvoyé chez les jésuites, comme pour le ramener au premier maître que Mitsuhide lui connaît.
Comme pour signifier que la disparition de celui qui l’avait fait samouraï ne justifiait plus qu’on le traitât en samouraï ?
Comme pour boucler la boucle?
Dans une lettre écrite le 5 novembre 1582, le père Luis Frois écrit : « Pour Akechi Mitsuhide, Yasuke n’est pas un homme, c’est un animal. Il n’est donc pas la peine de le tuer. Il faut le renvoyer en Inde chez les prêtres. »

Yasuke lui-même a-t-il trouvé un quelconque intérêt à continuer d’être un samouraï, sans son maître ? Est-il rentré à Goa, en Inde? Resté au Japon où certains le respectaient encore ? Personne ne le sait. On n’entendra plus jamais parler de lui, même les jésuites ne donneront plus aucune nouvelle de lui, exactement comme s’il était mort en même temps que son maître.

L’existence de Yasuke est rapportée et confirmée dans des ouvrages tels « l’Histoire ecclésiastique des îles et royaumes du Japon », du père François Solier ; et par le Shinchôkôki, les chroniques de la vie de Oda Nobunaga, probablement rédigées par l’un de ses hommes.
Il faut reconnaître que Yasuke fût l’un des rares, à cette époque, avant l’Anglais William Adams et le Français Eugène Collache, à porter les attributs des célèbres chevaliers nippons. Une des sources historiques de l’existence de Yasuke est aussi « l’Histoire du Japon » (História do Japão), écrite par le père jésuite Luís Fróis dont le premier volume est achevé en 1586.

L’étonnant destin du samouraï noir continue d’alimenter la littérature, la cinémathèque et la vidéothèque contemporaines.
Serge Bilé, journaliste et écrivain franco-ivoirien, auteur de « Yasuke, le samouraï noir » chez Owen publishing, nous a livré, en 2018, une savoureuse version romancée de l’incroyable destin du samouraï venu d’Afrique, à partir d’archives rares.
Une exposition intitulée: « Yasuke, l’esclave samouraï » a été organisée à Yaoundé au Cameroun en juin 2018, par Anne-Sophie Omgba. Elle a été l’occasion de découvrir 17 grandes planches représentant Yasuke, dessinées par l’artiste camerounais Raimi Sewado.
Le jeu « Assassin’s Creed: Shadows » qui met Yasuke avant comme un personnage central, a créé une polémique parmi les jeunes joueurs. Ce jeu vidéo, tout comme les œuvres littéraires et cinématographiques, utilise la figure du samouraï pour explorer des thèmes de loyauté, de diversité et de lutte contre les préjugés. Beaucoup de jeunes étaient ignorants de l’existence d’un samouraï noir et trouvaient la chose tellement extraordinaire qu’ils la jugeaient impossible. Ils ont très vite été édifiés par l’évocation de Yasuke dans divers récits historiques authentiques. L’histoire continuera de parler pour le samouraï noir.

Béatrice Mendo, haïkiste, écrivain, présidente-fondatrice de l’association Yujo-acajapon.

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