LE TSUNDOKU : Le syndrome de la pile à lire

Le tsundoku est une pratique qu’on rencontre chez les amoureux des livres, qui consiste à acheter des livres, des tas de livres et à les laisser s’empiler sans les lire.
On achète des livres, en soupirant d’aise à la perspective de savourer un agréable moment de lecture, puis, on ne trouve pas le temps de les lire.
Attention, il ne s’agit pas de procrastination, ni de repousser au lendemain une activité qu’on trouve fastidieuse. C’est tout le contraire. On aime tellement les livres qu’on n’a pas envie de les lire n’importe comment, à la sauvette. Alors, faute de trouver des moments privilégiés destinés à lecture, on empile les livres. On est certain de les lire plus tard. Il y en a qu’on ne lira jamais, tout en étant heureux de les avoir achetés.
Certains les empilent même selon l’ordre par lequel ils seront lus, quand ils seront lus.

Tsundoku ( prononcé comme tsoun-do-coo) est une association de mots qui regroupe :
積む ( tsumu – accumuler) et 読 ( doku – lire).
C’est aussi un jeu de mots astucieux, car tsunde oku signifie « accumuler et laisser tomber ».

Je faisais mon tsundoku depuis des années déjà, avant que je ne découvre la conceptualisation de cette pratique et ce joli mot japonais qui la nomme. La belle bibliothèque que j’ai obtenue doit beaucoup au tsundoku et je n’ai pas fini d’entasser les bouquins, que je lis par vagues de 03 ou 04 par mois.
J’en connais autour de moi qui font leur tsundoku, sans acheter un seul livre, toujours avec les livres des autres. Un tsundoku pour épater les gens, avec de nombreux livres pris chez les autres, pour étoffer une bibliothèque devant laquelle on espère que les gens viendront s’extasier.

Les adeptes de ce tsundoku qui n’est pas loin de la filouterie, vont de maison en maison, mettent un point d’honneur à emprunter tout livre qui passe sous leurs yeux, exactement comme si un mauvais génie leur avait interdit de sortir de ces maisons les mains vides. Ils empruntent des livres avec le même sérieux qu’affiche un prêtre qui baptise un converti. « S’il te plaît, est-ce que je peux t’emprunter ce bouquin? Je l’ai feuilleté, il me semble très très intéressant, je te le rends dans deux semaines « .
Seulement, il faut pratiquement menacer des mois après, pour que la personne daigne rendre le bouquin, qu’elle n’a même pas lu, qu’elle n’avait pas l’intention lire, parce que posséder l’objet était plus important. .
Au pire des cas, on a droit à des réponses du genre: « pardon, excuse-moi, mon beau-père a emprunté le livre que j’ai emprunté chez toi, si je le pressais de le rendre, il pourrait ne pas apprécier, tu sais, je n’ai pas envie de me fâcher avec le père de ma femme », « je l’ai oublié dans un taxi », « je suis sûr de te l’avoir déjà rendu, souviens-toi « , « c’est pour un bouquin que tu t’énerves comme ça ? »
C’est ce qui arrive quand on empile les bouquins des autres chez soi, non parce qu’on va les lire, mais parce qu’on voudrait se fabriquer une image de lecteur passionné, d’amoureux du livre.
Certains ont seulement envie de ramener chez eux quelque chose pris chez les autres, et il se trouve que le livre sied bien à cet accaparement, il ne se périme pas, il prend peu de place, et… il est un signe extérieur, un indice crédible du statut d’intellectuel de son propriétaire.
J’ai souvent été la victime de cette pratique désagréable là, du tsundoku de ceux qui n’aiment pas les livres, ni la lecture, mais qui veulent profiter de l’aura que confère la détention de plusieurs livres. Voilà, ils sont des détenteurs, pas des amoureux du livres.
Quant à moi, j’ai appris à offrir les livres que j’ai déjà lus. Je les offre volontiers à qui est capable de les lire et d’en discuter avec moi

Béatrice Mendo, haïkiste, écrivain, présidente-fondatrice de l’association Yujo-acajapon.

One Comment on “LE TSUNDOKU : Le syndrome de la pile à lire”

  1. Tellement vrai !
    Moi je ne prête plus mes livres .
    Je les destine à la descendance
    J’espère qu’ils aimeront les belles lettres une fois le patriarche de la famille que j’ai l’honneur d’être parti .
    Merci Écrivaine pour cette découverte d’un art japonais dont l’existence m’était inconnue .

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