IRUSU (居留守) : Faire semblant d’être absent

Irusu est un mot nouveau, apparu au Japon vers la fin du XXème siècle.
Il signifie:
Se faire le plus discret possible, pour faire croire qu’on est absent de chez soi, quand quelqu’un sonne à la porte… c’est donc une dérobade préméditée. Quand les récidives sont fréquentes et rapprochées, l’Irusu devient un mode de vie pour certains, où l’évitement calculé est roi.
Je ne suis pas là où tu crois me trouver, et tu vas rester comme ça, sans savoir où me trouver.
Celui qui fait Irusu offre à l’autre tous les éléments nécessaires pour conclure à son absence.
Il ne faut pas vite croire qu’une maison qui a l’air habitée, avec ses lumières allumées, le fumet délicieux qui s’en échappe, ses fleurs bien entretenues, est vraiment habitée.
Tous ces signes extérieurs de présence ne sont rien quand l’habitant a décidé d’organiser son Irusu. Le silence assourdissant du maître des lieux est le véritable indice de son absence, qui n’est pas obligée, elle, d’être véritable.
Tant pis pour celui qui s’évertuera à cogner à la porte et à lorgner aux alentours de manière indiscrète. Personne. Pas un signe de vie humaine derrière la porte. Pas un chat. Peut-être seulement le chat, qui n’a peur d’aucun créancier ou autre visiteur indésirable.

Il ne faut surtout pas manquer d’imagination quand on veut exprimer son Irusu…
On peut par exemple laisser croire qu’on est sorti précipitamment de la maison et qu’on a oublié d’éteindre la lumière, c’est le voisin qui arrose les fleurs, c’est le vent qui a détourné le fumet du ragoût, etc.
On peut aussi laisser penser qu’on est en court séjour ailleurs, peut-être à l’hôpital, juste pour accentuer le côté insaisissable et confirmer qu’on est injoignable.
On peut aussi faire comme si le nouveau somnifère qu’on a bu est tellement puissant qu’on a dormi quatre jours d’affilée, avec des boules Quiès aux oreilles.
On peut avoir été enlevé par des extraterrestres.

On ne veut voir personne, alors on s’arrange à ce que sa personne ne soit pas visible à l’endroit même où on est censé la trouver: la maison.
Les raisons de faire Irusu ne sont pas toutes suspectes, on peut tout juste avoir envie de rester seul, très seul. On peut prendre beaucoup de plaisir à éviter les gens.

Irusu sous l’Équateur…
Bien difficile de feindre son absence avec un voisin qui a les yeux et les oreilles braqués sur ce qui ne le regarde pas. L’attelage est bringuebalant, entre Irusu et promiscuité, c’est-à-dire la proximité quand elle est critique.
Pourtant, les occasions de faire Irusu sont multiples…
On aimerait que toute sa maison disparaisse et que l’agent d’Éneo ne trouve aucun endroit où poser sa maudite facture d’électricité. Irusu toute la maison. Pas de maison, pas de factures à payer.
On ferait bien son Irusu pendant deux ans pour décourager les témoins de Jéhovah qui trouveraient toujours porte close.
Pour échapper à son bailleur, on est même prêt à faire Irusu en apnée. Ça donne un peu de répit de faire le mort de temps en temps.
Mais, à Yaoundé sous l’Équateur, il y a toujours ce foutu voisin qui rapporte  » il ne répond pas? Mais, je l’ai aperçu il y a 5 minutes non? Cognez encore, il va sortir. Il finira par sortir, le vendredi à 10 heures, il sort toujours pour aller acheter son ticket du PMUC. Il va sortir, il ne passe pas la journée sans aller enregistrer son pari ».
Certains voisins prennent un plaisir diabolique à saboter toutes tentatives de faire Irusu. Comme ça, pour le plaisir de ne pas être seuls à souffrir de vivre durement sous l’Équateur.

Béatrice MENDO, haïkiste, écrivain, présidente-fondatrice de l’association Yujo-acajapon.

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